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Erosion

On accusa d’abord l’automne avec toutes ses eaux de ruissellement qui bondissaient hors des ruisseaux. Ensuite, il fut clair que les arbres ne poussaient plus : on les secoua pour en faire jaillir des rêves. Rien n’y fit, et leurs branches affalées demeurèrent sans aucun bruit d’oiseaux.

Après, ce fut le tour des chèvres : elles s’attaquaient aux rejets, dénudaient les feuillages, laminaient les sols. Au bout de cette hypothèse, on trouva leur berger. Un homme qui dormait tandis que la terre devenait glaise, boue, limon.

Demi-tour

Dehors un livreur de pizzas fait demi-tour sur la chaussée déserte. La radio diffuse un cantique. J’ai laissé tomber le pique-nique : trop chaud, trop de fourmis, trop de poussière sur les meubles et de miettes dans mon lit.

Debout devant la cuisinière je mange à même la poêle, des pâtes réchauffées.

A chaque fois que je la questionne, ta valise entrouverte dans l’entrée me demande si tu rentres ou si tu pars.

Debout

Debout, j’ai entendu le bruit d’une porte claquer, et j’ai vu se répandre à mes pieds des morceaux arrachés aux murs, aux boites, aux secrets. Des petits morceaux d’épreuves, pluies de noir et gris sur le matelas taché de rouge. Et la neige qui neigeait ses confetti.

Alors, debout, j’ai crié !

Ne plus pouvoir ouvrir les mains, et barbouiller à coups de poing des toiles – toujours trop petites - et qui ne pouvaient pas, ne pouvaient pas contenir autant de neige, autant de bruits d’insectes, de papillons écrasés. De ruines. Et d’eau.

Même plié le cadavre était trop grand. Même les grands os pilés en fine poussière, même réduits à la taille d’un cil, les fémurs se battaient et sortaient, incisifs, du gros lin de la toile.

Même maquillées en drame domestique banal et menu, les chairs ouvraient sur des poignées d’entrailles, ravalées.

Et debout, je criais

D’abord à grands cris et ensuite à grande eau. Et puis un jour, forcément, j’ai pressenti la lente capitulation de ce temps qui viendrait – forcément - où je verrais, au-delà du bruit d’une porte claquée, se déverrouiller des ailes d’oiseau. Ecartées.

J’ai envie de pleurer

J'ai envie de pleurer et que tu mes serres dans tes bras et que tu me mouches avec tes doigts et que tu me chantes une ballade irlandaise et que tu me racontes « Les trois cheveux d’or du diable » et que tu me bordes et lisses les draps sous mon menton et que tu places les oreillers bien gonflés sous ma nuque.

J’ai envie de pleurer pour que tu t’occupes de moi comme si tu savais – évidemment - qu’il me faut de la tendresse pour dormir. De la tendresse, une pomme et parler dans le noir.

(Carnet de croquis au parc)

Pétillement du soleil entre les feuilles des arbres. Il étale des taches sur la table. Le vent remue tout cela. Le brasse.

Transparence et superposition des feuilles : vert clair, lumineux, vert foncé. Pointes, dents des feuilles dans d’apparentes courbures de joues. Le vent remue tout cela en clair et foncé qui frétillent.

Juste une giclée d’eau, une aspersion à contre-jour. Sûrement un mouvement d’oiseau à la surface de l’eau. Avec des palmes et beaucoup d’ailes.

Epaisseur de l’eau et reflets durs. Uniformité de la vase, débris de feuilles, débris de branches, débris de débris.

Bruits des conversations : « je vais vous montrer ce qu’il faut faire… ». L’autre répond : «une réunion complètement bidon !» Bruits des conversations éparpillés. Les taches de rousseur du soleil sur la table.

Une file de canards à la limite de l’étincellement de l’eau. Bruit du passage des vélos dans l’allée ombragée. Canard qui tisse son sillage en deux lames.

L’ombre et la lumière se partagent le monde.

La poupée

Maman s’est acheté une poupée. Une poupée de porcelaine qu’elle m’a donnée ; mais voilà, j’ai trébuché dans la poussière et puis je suis tombée par terre.

Avec tous les morceaux de la poupée, j’ai fait un petit tas, un joli petit tas de jolies choses mortes de jolies choses, oui, assurément ! Des vrais cheveux, du taffetas noir cerise et des rubans, de jolis rubans de taffetas.

Toute la journée, j’ai remué les choses : des petites mains, des pieds joliment chaussés et puis brassé les dentelles du jupon, une bouche ronde, un bout de nez. J’ai peigné des poignées de vrais cheveux, arrangé une jambe.

Trois jours durant, j’ai joué dans la poussière avec les morceaux de sa poupée, mais Maman a pleuré.

Ne pas partir

Les familles dans les parcs municipaux, les magasins fermés, la queue chez le boulanger, les lunettes de soleil sur les sentiers de randonnée comme des fourmis, les bras fripés des vieilles dames, les poussettes avec leur ombrelle et les enfants rêveurs, les travaux de voierie, les ballons, les melons, les sacs en raphia tressé,

La solitude reste un costume du dimanche.

Je vais enfiler ces chaussures que je ne porte jamais parce qu’elles font « trop dame » et parce que je marche mal avec ce petit talon dont je n’ai pas l’habitude. Je vais prendre l’air décidé, l’air pressé, l’air occupé. Je vais prendre l’air !

Je vais prendre l’air ! Je vais trouver amusants les pigeons, intéressants les toits, les plantations, les nouveaux abris bus, et me passionner pour ce mur peint que je connais par cœur et que je n’aime pas. Je vais chercher à comprendre pourquoi je dois si souvent indiquer leur chemin à des touristes à pied qui, guide à la main, cherchent ce mur peint. Je les repêche toujours au même endroit, perdus à mi-trajet et j’improvise à chaque fois pour me décider : est-ce que je les fait rebrousser chemin et ensuite c’est à gauche, ou est-ce que je les envoie un peu plus loin et puis c’est à droite ? Il n’y a pas de règle mais je mesure instantanément s’il fait chaud s’il y a du vent de l’ombre et je dis alors revenez sur vos pas ou continuez par là, c’est selon, ça dépend mais ils vont tous au mur peint que je n’aime pas.

La solitude reste un costume du dimanche.

des chats dégingandés dans les bacs à sable, les papas, les vernis à ongles des orteils en terrasse, les mamans, les doudous tombés, les familles, les tournesols à l’étalage, les trottoirs sales, les pistolets à eau, les familles, le bronzage de l’été, les tongs, les bermudas, cet air de plage, affiché sous les platanes poussiéreux.

Et puis cette tarte aux courgettes, pour laquelle j’ai couru au marché – mais pas assez vite - et qui m’a empêchée de répondre au téléphone, pas assez vite, pas assez vite. Mais je n’ai pas acheté les courgettes assez vite et le téléphone a sonné pendant que j’étais au marché.

La tarte est cuite : je vais la manger, je lui trouverai probablement peu de goût, même si les courgettes étaient de jeunes courgettes toute fraîches, fraîchement cueillies, tout juste cueillies, mais pas assez vite ; il est parti.

La solitude reste un costume du dimanche.

La solitude reste un costume du dimanche avec des chaussures à talons qui « font dame » et un air occupé de prendre l’air : affairement de courges.

Les épousées

Je vais à la pêche.

J’attraperai des poissons, peut-être une friture d’ablettes. J’ai sorti ma boîte d’hameçons, ma canne, changé le fil de nylon, et assorti un bouchon aux couleurs de la berge.

Dans le courant en amont, j’ai jeté ma ligne. Le bouchon descendait et souplement, quand en aval il tirait sur le fil, je remontais ma ligne et elle redescendait.

Nous avons joué comme cela un bon moment : je la lançais, elle descendait, je la lançais.

C’est comme ça dans le courant et ça doit l’être, à surveiller la touche du poisson, souvent en deux temps et le troisième mouvement, c’est un coup sec. Et voilà.

J’ai vu chasser une perche. J’ai pris un goujon, une algue velue, un autre goujon et un barbot que j’ai rejeté.

J’ai attrapé un coup de soleil, ainsi qu’un bois flotté qui séjournait au fond de la rivière.

Mon hameçon s’est décroché.

Ensuite je n’ai plus rien pris, mais je suis pourtant restée les jambes dans l’eau jusqu’à la tombée de la nuit alors, j’ai vu s’abattre les étourneaux dans les saules.

Je lançais toujours ma ligne, la plume, les plombs. Je suis restée et tandis que j’étais là, je continuais à lancer ma ligne dans le noir. J’entendais rouler les cailloux au fond de l’eau.

Plus tard, les éphémères se sont levés du lit de la rivière et ils en ont recouvert la surface : elle est devenue laiteuse.

Beaucoup se sont accrochés à mes cheveux, sur mes vêtements. Ils neigeaient sur moi et la rivière.

Nous étions blanches dans la nuit, la rivière et moi.

Morenas

Il a fallu que mes doigts rêvent de ces chevelures au fil de l’eau!
Il avait dû les regrouper en bouquet si serré, qu’elles s’étiolaient à la surface du fleuve.

Cela faisait une belle photo.

Des chevelures brunes, mariées oubliées d’un poisson aussi frétillant qu’une lame de canif, épouses enlacées délaissées par le même abandon.

Au bout du pont de Salamanque, il y a une cabine téléphonique, mais dans ce rêve où défilent des figures de noyées, cette cabine est un flipper tout neuf. Il est là, le canif aigu qui joue à mélanger les cheveux et il tient serré, le combiné qui se tait.
Il dicte à toutes les radios, tous les journaux de la terre, des mots d’amour, usés, usés, aussi vieux que le monde. Mais sa voix pressée n’est pas fatiguée de les répéter.

Et c’est d’un trait tremblant que mes doigts dessinent, gris et bruns, au pinceau épais, chacun de leurs fils emmêlés.
Ils font de petits désastres mélangés. Des torches d’eau courantes.

Dans l’ombre touristique des cathédrales, nueva y vieja.

Épilogue

Une pomme reinette a roulé sous la table. Malgré mes lunettes, elle reste introuvable.

Assise sous la table, je bois du Bourgueil et scrute le tapis : j’y ai relevé des miettes, un trombone, des poils de chat.

Pas de reinette.

Msk

Msk